Bonus

3 prix / 26 festivals :
Clermont-Ferrand, Pantin, Metz, St Paul-Trois-Châteaux, Cabrières d’Avignon, Verdun, Lans-en-Vercors, Annonay, Dignes-les-Bains, Aigues-Mortes, Autrans, Grasse, Dublin (Irlande), Drama (Grèce)…

L’histoire, en quelques mots
La nuit du Nouvel An, Alexandre, la quarantaine, retourne seul dans son chalet en montagne. Il regarde à la télévision un reportage qu’il a tourné 10 ans auparavant en Chine. Le téléphone sonne. C’est une petite Alice qu’il ne connaît pas… Alice Chang.

été 1992
Pendant un voyage en Chine, je tourne sans autorisation 30mn d’images avec une petite caméra 16mm Bolex que j’ai pu louer à l’Académie de Cinéma de Pékin. Ces images étaient parfois mises en scène : un jeune homme déambule seul en Chine (anecdote : le jeune homme en question, c’est le compositeur de la musique de mes trois films courts, Alain Berlaud). Je voulais en faire quelque chose de ces images, mais quoi ?

été 1993
Je tombe amoureux d’une bande dessinée : Saïgon-Hanoï de Cosey. J’écris seul l’adaptation, en autodidacte. Une fois le scénario prêt, je sillonne Paris à la recherche de financements et d’un producteur, pendant un an et demi. En vain.

hiver 1995
Tant pis, je tourne. Je deviens donc producteur en même temps que réalisateur.
Une tonne de matériel à transporter dans les Vosges et une équipe de 14 personnes à gérer et à nourrir pendant une semaine. Moi qui ne connais du cinéma que les salles obscures… Ambiance colonie de vacances. J’apprends sur le terrain comment on fait un film (anecdote : le terrain prévu pour le tournage en voiture était sale et boueux la veille du premier tour de manivelle. Moi qui rêvais de neige, je déprime. Je m’endors quand même. Le matin, j’ouvre les volets : 25 cm de neige tombée dans la nuit… le bonheur !)

1996
Un an et demi pour faire la post-production. Enfin, un an et demi… c’est plutôt quelques heures par ci, quelques heures par là, la nuit le plus souvent… des heures grignotées à l’arraché après des mois de luttes, de coups de fil, de promesses, de faux-bonds…

Bilan ?
La première récompense, c’était la projection publique devant 2.000 personnes, en compétition au festival de Clermont-Ferrand. La deuxième, c’était la sortie des trois films courts, fin février 2004, à l’Action Christine.

Pierre Filmon

Scénario
Pierre Filmon
d’après Saïgon-Hanoï de Cosey

Avec
Jean-Marc Maurel, la voix de Myriam Elbaz,
Agathe Mallaisé, Stéphanie Claude, Didier Gilles

Image
Sabrina Varani
Axel Cosnefroy

Son
Jean-Daniel Bécache
Anne Maisonhaute

Assistant réalisateur
Bruno Elizor

Scripte
Myriam Elbaz

Décoration
Sophie Chauvin

Machiniste
Vincent Blasco

Electriciens
Sylvain Bonis
Christophe Petraud

Régie
Renaud Henry
Philippe Rollin

Photographe de plateau
Renaud Henry

Production
Pierre Filmon / Frédéric Robbes pour FRP

Chargé de post production
Marc Irmer

Montage
Anouk Zivy
Eve de Miniac

Synchronisation
Johan Lecomte

Mixage
Raphaël Sohier

Musique originale
Alain Berlaud

Musiciens
Anabel Duranteau (voix), Fabienne Hardy, Isabelle Moix (violons), Dominique Blessemaille (alto), Anne Leguerinel, Eric Beillevaire (violoncelles), Frédéric Louis, Vincent Manac’h (clarinettes), Siegfried Courteau (Gong, crash, templeblock, caisse claire, cymbale), Valery Haumont (vibraphone, tom basse, tam), Anne Cardinaud (marimba, cymbale chinoise, tom).
Xavier Aubert (enregistrement au CNR de Tours)

Autres musiques
Extrait de Trouble in Mind, par Rosetta Tharpe
Extrait de la bande son de NO SEX LAST NIGHT,
de Sophie Calle. Musique Pascal Comelade

Remerciements
Académie cinématographique de Pékin, ville de Liézey, mairie et MCL de Gérardmer, école Louis-Lumière, société Herpé, Kodak, Image Plus à Epinal, Conservatoire National de Région Francis Poulenc de Tours,
Tao Ran, Ling Fei, Tong Tsho, Li Nian Lu, Jean Baudouin, Sophie Calle, Jeanne Delanérie, Dominique Glocheux, Hélène Monnerie, Gérard N’Guyen, Patrice Jacquemin, Alexandre Kuehn pour la Coccinelle 1302, Philippe Lermier, Philippe Maleskévitch, Monsieur et Madame Morel pour le chalet,
Pascal Paul, Jean-Charles Simonin, Jean-Pascal Voirin, Ody Roos.

EXT. JOUR

Le soir tombe sur une région enneigée assombrie par les flocons qui se précipitent sur une autoroute. La circulation est fluide dans le sens opposé où une Volkswagen noire et blanche (Type 1300 ou 1302, une Coccinelle) n’est suivie que par peu de phares.
Un homme, mal rasé, la trentaine, le visage fermé, buriné et (tout de même) sympathique, est seul au volant. Il porte des habits chauds et écoute du jazz très entraînant. Sa voiture s’engouffre sous un pont, puis sur une bretelle, quitte les routes nationales, traverse un petit village.
Un souvenir l’envahit. Une pierre tombale portant l’inscription:

ERIC PROUST

2 mai 1970 – 31 décembre 1992

Dans le village qu’il traverse flottent des banderoles BONNE ANNÉE 94. La voiture passe devant un café à l’enseigne ‘LE RELAIS’ luminescente et s’enfonce par de petites routes plus enneigées. Il attaque la montagne, s’engage dans un chemin de forêt et l’on découvre un chalet endormi. FABIEN arrête le moteur de sa voiture, son visage exprime le bien-être de retourner chez soi. Il descend avec un sac plein de provisions, s’avance dans la neige et rentre chez lui.

INSERT sur la sonnette:

FABIEN MONTSERRAT (Dit Z.FENNEC)

INT. LA NUIT TOMBE

Il retrouve les pièces telles qu’il les a laissées. Il allume la lumière chez lui, s’arrête et regarde ses meubles avec affection, sa bibliothèque en particulier.
Il prépare un feu, s’assied devant la cheminée et semble perdu dans de graves pensées. A côté de lui, un paquet de cigarettes chinoises, un magazine télé et, a ses pieds, une bouteille de bière. Il se saisit du magazine et l’ouvre à. la page des programmes du soir:

23.00
Canal 1: Informations
Canal 2: Soirée Tex Avery
Canal 3: Nouvel An au Crazy Horse
Canal 4: Série Documentaires Fiction : SINO-PRAVDA de Z. FENNEC, avec Eric PROUST « Ce documentaire est né de la conjonction de mon voyage en Chine avec une caméra, et d’un ami, Eric PROUST, qui a accepté de se laisser filmer au cours de notre périple alors qu’il sortait d’un douloureux échec sentimental. » Z. FENNEC.

Fabien pose le journal, regarde sa montre. Il est 22.10. Il se lève, va vers la fenêtre. Il boit et fume. Il revient s’asseoir.

LE TELEPHONE SONNE.

Il décroche à la troisième sonnerie et, interloqué par un appel qu’il n’attendait pas, se renferme.

FABIEN (agressif)
Allô !… Qui est à l’appareil ?l

VOIX FEMININE D’ENFANT
Alice… Alice Guibert… Je ne vous dérange pas ?

FABIEN (toujours pas tendre)
Ça dépend.

ALICE
N’ayez crainte… J’avais juste envie de… Je trouvais sympa de parler à quelqu’un du coin, enfoui sous la neige, comme moi… C’est votre nom qui m’a frappé, MONTS…

FABIEN (moqueur et retenu)
Qu’est-ce qu’il a, notre nom ?!

ALICE
Il me rappelle un bouquin que j’avais adoré… et puis je suis seule, ‘Man vient de sortir acheter des bricoles… On a quitté la capitale toutes les deux pour passer les fêtes au calme… On n’est pas trop famille vous savez, alors… (Moins sûre) Vous êtes du coin ?

FABIEN (amusé et plus détendu)
Ouais ! J’y passe le plus clair de mon temps depuis que je suis tout gamin.

ALICE (naturelle)
Moi, j’ai quinze ans, mais c’est la première fois que j’y viens… Je trouve le coin super.

Sur cette dernière phrase, Fabien déjà levé, prend le téléphone, tire le fil et s’en va dans la cuisine.

ALICE
Mais j’oublie ! Vous devez fêter le Nouvel An avec des amis ou de la fa…

FABIEN (un peu brutalement)
Non… je suis seul.

ALICE (charmante)
Tout va bien ?

FABIEN
Pas de problèmes, Alice, je dois être un des types les plus heureux de la région.

ALICE
On dirait ma mère !… C’est vraiment ma meilleure copine, je peux tout lui dire… On s’entend vachement bien, vous voyez ce que je veux dire. Vous avez un ami ? (Convaincue) Un VRAI ?

Pendant cette conversation, Fabien s’affaire dans la cuisine pour se préparer un repas frugal. Il ouvre ses placards, découvre un pot de confiture moisi, il le jette.

FABIEN (inspire; se tait, et)
J’en avais un, ouais… Il est mort… Il y a un an… (Très vite) Il ne voulait pas vivre une nouvelle année.

ALICE (gênée)
Oooh…

FABIEN (grand frère)
Non, ne t’inquiètes pas… Ce n’est rien… Tu ne pouvais pas savoir.

Silence gêné de part et d’autre. Après un toussotement, Fabien reprend.

FABIEN
Euh… On a voyagé ensemble en Chine, et ce sont de très précieux souvenirs… Alors je comprends quand tu évoques l’amitié… Parle-moi plutôt de ce que t’a apporté le Père Noël ?

ALICE (se reprenant enjouée)
Le Père Noël, à mon âge, j’y crois plus !!

FABIEN (surpris)
Ah ! J’y croyais encore à ton âge, j’ai toujours été un peu en retard… Lui ne m’apportait que des oranges…

Pendant ces dernières phrases, Fabien a fouillé dans le sac de victuailles et tout s’est renversé, des oranges en sont sorties. Il prend un couteau dans un tiroir pour en éplucher une.

ALICE
Oh non ! Vous n’allez pas rabâcher ça comme ma grand’mère !

FABIEN
Merci ! Tu vois, je ne suis plus jeune !

ALICE
Oh ça va !… Bon, je vais vous laisser… ‘Man devrait pas tarder… Je pourrais vous rappeler ?

FABIEN
Quand tu veux, Alice. Merci d’avoir appelé ! Et Bonne Année !

ALICE
Oui ! Bonne année à vous aussi Fabien…

Le téléphone est raccroché.

INT. LUMIERE ÉLECTRIQUE

Fabien se cuisine un petit plat tout simple qui dégage pas mal de vapeur qui embue la fenêtre. Il retourne dans la pièce, qui semble principale, avec son repas improvisé. Il s’assoit à. même le sofa drapé et s’ouvre une bouteille de bière. Il mange en lisant le journal. Il regarde sa montre qui indique 22.55. Il allume la télé et s’installe, alors qu’une émission de variétés s’achève. Il éteint la lampe principale, son visage reflète le changement démission.

INT. NUIT.

Le titre du documentaire apparaît sur l’écran de la télévision:

SINO-PRAVDA de Z.FENNEC, avec Eric PROUST.

Une suite de plans courts montre un jeune homme près de la Grande Muraille, puis sur le pont arrière d’un bateau sur un fleuve alors que l’on écoute le commentaire suivant:
…Je décidais de quitter l’Empire du Milieu… Je me souvenais avoir appris que 90% du milliard et demi de chinois vivait à la campagne… Je me rappelais Chongqoing, ville méconnue du Sichuan, de 7 millions d’habitants, et Shanghai, métropole qui en compte 13… Entre ces deux cités, 2000 kilomètres de navigation sur le Yang-tseu-kiang (Chang-Jiang en chinois), le Fleuve Bleu, colonne vertébrale du commerce en Chine centrale, séparant le Nord du Sud. Ce, en 2 jours, au milieu des chinois qui savent que les trains effectuent la liaison en 3 jours.
Ce voyage s’achèverait dans ce haut lieu du cosmopolitisme du temps des concessions étrangères, et capitale morale de la Chine de Mao qu’est Shanghai… Mais surtout… »

LE TÉLÉPHONE SONNE.

On retrouve Fabien dans sa chaise de rotin, éclairé par son programme. À contre-coeur, il décroche à la deuxième sonnerie.

VOIX (pétillante)
Fabien, il y a un documentaire canal 4 sur la Chine, j’ai pensé que ça pouvait t’intéresser.

(Silence)

Fabien sourit. Il se lève et se dirige vers la télévision pour baisser le son.

FABIEN
Attends un instant, Alice… Là, je t’entends mieux.

On reprend à l’image le documentaire chinois et ce, jusqu’à la fin de la conversation. Aucune concordance avec ce qu’ils voient (et ce que nous voyons) à l’écran: Le jeune homme du documentaire est seul, il est souvent pensif sur ce bateau. Arrivée au petit matin des bateaux à Shanghai. Vues de Shanghai, des gens. Voici la conversation qui s’établit :

FABIEN
Alors ! Ta mère est bien rentrée?

ALICE (hésitante… se justifiant)
Je… Je t’ai un peu menti tout à l’heure… ‘Man a eu un accident, cet après-midi… avec ces routes glissantes… Elle m’a appelé de l’hôpital. Rien de grave mais elle n’en sortira pas avant demain… Elle voulait m’envoyer un taxi, mais je préfère rester ici pour la nuit. Barbara, c’est ma tante, viendra me chercher demain matin… Tu m’en veux, pour le mensonge ?…

FABIEN
Non !… Non. Bien sûr !

ALICE
On ne sait jamais à qui l’on a affaire, n’est-ce pas ? J’ai pensé qu’il valait mieux prendre des précautions, mais maintenant, je crois que ce n’est plus nécessaire.

FABIEN
Je te remercie pour ta confiance.

(Silence)

ALICE
J’ai aussi triché sur mon âge : je n’ai que douze ans.

FABIEN
Je pense que ça ne devrait pas compromettre notre conversation.

(Silence)

ALICE
Tu as sûrement envie de regarder tranquillement cette émission… Je te rappellerai plus tard, si tu veux bien.

(Silence)

FABIEN (pris par son reportage)
Non, non… Si tu n’as rien d’autre à. faire, on peut continuer.

ALICE
D’accord !… C’est étrange d’avoir programmé ce reportage le nuit du Nouvel An…

FABIEN
Oh ! Tu sais, ça vaut bien les autres chaînes.

ALICE (peu convaincue)
Oui… Sauf que la Deux fait concurrence avec les dessins animés de Tex Avery.

FABIEN (amusé et moqueur)
Tu veux les regarder !!

ALICE
Non ! Non !…

FABIEN
Dis Alice tu es sûre de n’avoir besoin de rien, tu as tout ce qu’il faut pour manger ?

ALICE
Oh là là, oui ! ‘Man a fait des provisions pour 3 mois au moins… Et je suis bonne cuisinière !! Mes spécialités, ce sont les omelettes au thon et les œufs sur le plat au roquefort et aux herbes de Provence.

FABIEN
Ça vaut bien toutes ces dindes de circonstance !

ALICE
Ça oui !… … Dis…

FABIEN
Mm?

ALICE
Qu’est-ce qu’ils racontent sur la Chine ? J’ai coupé le son.

FABIEN
Moi aussi… Peu importe !

ALICE (après un court silence)
En général, je n’aime pas trop les adultes, mais pour toi, je crois que je ferai une exception !

FABIEN
Qu’est-ce qui ne va pas avec les adultes ?

ALICE
Je ne sais pas… L’ennui avec eux, c’est qu’avant de parler, ils savent déjà ce qu’ils veulent dire…

(Deux secondes de silence)

FABIEN
Parle-moi un peu de toi, Alice… À quoi ressembles-tu ?

ALICE
Oh ! Avec toute cette électricité dans l’air, c’est une chance que tu ne me voies pas… Mes cheveux blonds, habituellement lisses, sont de véritables aimants. Je ne peux pas enfiler ou retirer un vêtement sans produire une couronne d’étincelles autour de ma tête.

(4 à 5 secondes de silence)

ALICE
On est à Shanghai, c’est ça ?

FABIEN
C’est ça…

ALICE (hésitante)
Tu comptes retourner en Chine ?

FABIEN
Je ne sais pas… Je ne pense pas… J’y aurais un peu trop de souvenirs… Tu comprends.

ALICE (après une respiration)
Tu repenses souvent à ton ami ?

FABIEN
Dans chaque situation, à chaque événement, je me demande toujours ce qu’Éric en penserait… C’est vrai que depuis un an, j’hésite plus, je n’espère plus grand chose.

ALICE (un peu brusque)
Tu as l’intention d’avoir des enfants ? Je veux dire… Un jour ou l’autre…

FABIEN
Qu’est-ce qui te fait croire que je n’en ai pas?

ALICE
Oh, ça se sent tout de suite… les adultes avec enfants ont une façon de vous parler, de vous écouter. Je crois qu’ils sont constamment en train de comparer si l’on est en avance ou en retard sur leur progéniture.

FABIEN
Avec toi, leurs chers petits anges ne doivent pas être souvent en avance…

ALICE
Alors là, Fabien, si tu penses que je suis du style première de classe, tu te mets le doigt dans l’œil ! Je déteste l’école.
Tiens, mon professeur de mathématiques, « Fichu » qu’on l’appelle, elle porte des bas de toutes les couleurs qui jurent avec ses tailleurs… J’ai bien essayé de lui expliquer, mais ça a mal fini. Dans le bureau du directeur.

FABIEN
Je vois !

(l0 à l5 secondes de silence)

FABIEN
Tu es toujours là, Alice…

ALICE
Mmoui…

FABIEN
Tu n’as pas peur, toute seule?

ALICE (évasive)
Non, non…Ça va, Fabien…
Je pensais à un truc… Je me demande ce que nous serons devenus dans vingt ans… Est-ce que nous nous souviendrons encore de cette soirée, la neige, tout ça ?…

FABIEN
Mm… Dans vingt ans, tu seras sans doute en train d’allaiter ton dernier-né, avec un mari, et un ou deux autres bambins à tes côtés… Et, a mon avis, ça ne te laissera que peu de temps pour te remémorer cette soirée…

ALICE (pas convaincue)
Peut-être oui…

(2 secondes de silence)

FABIEN
Alice… Je repense à quelque chose…
Un soir, pendant notre séjour à Shanghai. Je forçais Eric à m’accompagner a l’opéra. Il subissait péniblement la foule chinoise incessante et désirait se coucher tôt pour trouver un peu de paix. Je l’ai finalement convaincu de venir…
… Imagine-toi l’opéra chinois : (passionné) Des costumes de scène flamboyants et rutilants, de la soie chamarrée d’or, du satin diapré, des maquillages gracieux qui donnent encore plus de vie aux intonations vocales, et des acteurs qui illuminent le décor aux couleurs chatoyantes.
J’ai senti Éric se passionner pour ce tableau vivant. À la fin du spectacle, il a tenu à voir les artistes. J’étais plutôt réticent. Grand bien lui en prit puisque nous nous sommes retrouvés auprès du plus vieux des acteurs dont le maquillage dissimulait encore l’âge. Il nous a adressé la parole en français; il devait avoir 80 ans… Ce vieux chinois avait vécu toute son enfance dans la Concession française, celle dont parle Malraux dans La Condition Humaine.
Il nous a mené, tard le soir, par les artères de son Shanghai, celui des années vingt que seule sa magie a su recréer. C’est à partir de ce plus beau soir de notre voyage que j’ai vu Éric sortir de sa torpeur…

Pendant le monologue de Fabien, le documentaire s’achève et le générique défile.

SINO-PRAVDA, un film de Z. FENNEC

Silence bref. Puis…

ALICE (délicatement)
Fabien… Tu sais l’heure qu’il est ?

FABIEN
Il est minuit ?

ALICE
Mmoui !…

FABIEN
Bonne Année, Alice !

ALICE
Bonne Année, Fabien !…
Tu vas boire du champagne ?

FABIEN (moqueur)
Et bien je crois avoir oublié la bouteille à l’épicerie…

Fabien se lève, va éteindre la télévision et déambule dans la pièce.

ALICE
‘Man n’en avait pas prévu non plus… je me contenterai d’une bonne glace…
… Fabien, il va falloir que je raccroche, ‘Man doit essayer de m’appeler. Et puis, il faut que je prépare mes affaires, Barbara vient me chercher demain matin à neuf heures au RELAIS.

FABIEN (surpris et heureux)
Au ‘RELAIS’ ! C’est là que je pensais prendre mon petit déjeuner. Veux tu que l’on se voit avant ton départ ?

Deux secondes de silence absolu.
Fabien s’est arrêté. Expectative.

ALICE
… Ne m’en veux pas, fabien. Tu vois, lorsque l’on a aimé un bon bouquin, je ne crois pas qu’il soit nécessaire d’en rencontrer l’auteur.

(Un temps)

FABIEN (tendre)
As-tu peur d’être déçue ou de décevoir ?

On prend de la distance avec Fabien dans la pièce, puis avec la pièce dans la maison, puis avec la maison dans la nuit.
(Travelling arrière)

ALICE
C’est pareil, non ?

FABIEN
Tu as sans doute raison…

Alice, j’aimerais que tu saches… Ton coup de téléphone… C’était le plus beau des trains électriques.

ALICE
Merci, Fabien.

EXT.NUIT.

Fabien, dans la neige, se prépare une glace qu’il arrose de Gin, de sucre et de citron.

ALICE
On compte jusqu’à trois ?

FABIEN
O.k.

ALICE
Un…

FABIEN (écho)
Un…

ALICE
Deux…

FABIEN (écho)
Deux…

ALICE
Trois.

FABIEN (écho)
Trois.

Le téléphone est raccroché. Le chalet dans la nuit.

EXT. JOUR.

Au petit matin, il ne neige plus. Le chalet est enfoncé dans un paysage recouvert largement de neige épaisse. Fabien sort de chez lui, prend sa voiture et rebrousse le chemin de la veille. Il a un visage ouvert mais sans sourire. Il arrive au RELAIS.

INT. JOUR.

Dans le RELAIS s’affaire le barman. Un consommateur boit un café, une petite fille blonde est accoudée et prend son petit déjeuner. Fabien entre et s’approche du comptoir.

FABIEN
Un café, s’il vous plaît… (surpris et retenu)… Alice ?

PETITE FILLE
Pardon ?

FABIEN
Rien… J’ai cru reconnaître quelqu’un.

BARMAN (bourru)
Vous z’avez dit « Alice », c’est vous Fabien ? Y a une gosse qu’est passée ‘t’à l’heure… elle a laissé ça pour vous.

Il fouille sous le comptoir après avoir servi le café. Fabien observe le petit paquet. Il l’ouvre. C’est un livre:

MONTSERRAT de E. Roblès. Dedans, une dédicace: « Montserrat a désormais une voix. Merci. Alice ».

Fabien sort du relais.

BARMAN (désagréable)
Et quand vous verrez votre’ Alice’, dites-lui que ce n’est pas un bureau de poste, ici.

Fabien s’engouffre dans sa Volkswagen noire et blanche. Il est RADIEUX.
Sa voiture s’éloigne.

1998

Février
Rendez-vous Jeune Création, thématique Mémoire(s) à la Vidéothèque de Paris. Et Sélection court-métrage du festival du premier film d’Annonay (07).

Mars
Sophie Calle m’envoie un mot très gentil pour répondre à mon envoi de la cassette du film. Elle avait immédiatement accepté ma demande d’utiliser sa voix enregistrée lors d’une émission sur son très beau film No Sex Last Night, un soir sur France Culture. Merci Sophie !

Lors des Rencontres de cinéma de Digne-les-bains, je rencontre Jean Rousselot (nos films sont en compétition) qui reste un ami très fidèle. Il me dit avoir vu pour la première fois Bleus de Chine à Clermont-Ferrand, en compagnie d’Agathe David-Weill, lors de la très belle projection à la salle Gergovia.

Au cours du printemps 1998, la revue bimestrielle littéraire QUELQUES MOTS, à l’occasion d’un numéro sur le Septième Art, pose la question suivante à plusieurs réalisateurs de courts métrages :

Pourquoi faites-vous des films ?
Voilà ma réponse :

« On triche toujours. On n’a même pas appris à tricher : on a ouvert les yeux, on a vu et entendu, et on a eu vite fait d’endosser un masque. Comme je ne crois plus en rien, comme je me méfie de tout (ou presque) et que je ne veux pas pourrir sous les apparences, j’ai décidé de faire de tricheur mon métier. Quand on canalise ses envies dans une histoire de cinéma, dans un projet précis de film, on va devoir convaincre presque tout le monde du fait qu’on sait exactement ce qu’on veut, alors que la vérité est qu’on est parti de ce qu’il y a de plus trouble et de moins compréhensible en nous : le désir.
Et ce qui motive la ténacité dont il faut faire preuve pour parvenir à la copie zéro, c’est le refus absolu de tricher avec soi-même (la plus haute conscience) et la nécessité de lutter avec ce que l’on est. Je crois qu’il est indispensable d’aller violemment se cogner la tête contre ses propres limites.
Je veux faire des films parce que je ne veux pas tomber fou, et parce que j’ai peur de mourir. Je veux en faire pour assouvir mes obsessions. Je fais des films courts pour vivre mieux (mais je n’en vis pas encore…).
Je veux faire des films parce que j’aime le cinéma, seule raison aussi valable que dérisoire. Je termine actuellement mon second court-métrage, mais je perçois déjà timidement un sentiment de sereine complicité avec les réalisateurs dont j’ai aimé, j’aime, et j’aimerai les œuvres, et à qui je suis redevable à nuls autres pareil. »

Août
Tournage de mon second court métrage LES ÉPOUSAILLES.

Septembre
Festival jeune cinéma et vidéo d’Aigues-Mortes. J’obtiens le Deuxième Prix.

Octobre
Festival de Mesnil-Le-Roi.

Novembre
Au Festival de Bougival, après la projection, est organisée une très belle chorégraphie à trois danseurs inspirée par le film. Ils sont tous les trois habillés en… Bleu de Chine !! Festival du court métrage de Vaulx-en-Velin (69), Festival Circles of confusion 4 (Berlin). Je n’aurais été dans aucun des festivals à l’étranger. On est certes pris en charge aur place, mais à condition de se payer le billet aller et retour.

Et projection au cinéma l’Action Christine, à Paris, dans le cadre des lundis de SOLO TU, film d’Anne Benhaïem et Arnaud Dommerc. Les réalisateurs ont choisi mon film pour accompagner le leur.

Décembre
Sélection du festival du film de montagne et d’aventures d’Autrans (38).

1999

Janvier
Festival Cinéma au parfum, à Grasse.

Février
Soirée Maison du Film court à la SACD.

Mars
Soirée Les Saisons du court à l’Institut Océanographique (à Paris).

Le film sera à nouveau projeté au Festival de Clermont-Ferrand 2000, dans la rétrospective Le Petit Vingtième, autour de la thématique court-métrage et Bande Dessinée, ainsi que lors de la sortie en salle des trois films courts, fin février 2004 ; et enfin, à l’été 2006 accompagné de mes deux autres films courts, au Festival de Pordenone, en Italie.

  • LE COURRIER DE L’OUEST, 4 septembre 1992
  • L’EST RÉPUBLICAIN, 25 mars 1995
  • TECHNICIEN DU FILM ET DE LA VIDEO, avril-mai 1995
  • L’EST REPUBLICAIN, 20 & 22 juin 1996
  • POSITIF, décembre 1996
  • TOURNAGE, janvier & février  1997
  • NOUVEL OBSERVATEUR, 5 février 1997
  • RENDEZ-VOUS FNAC, février 1997
  • CANAL, juin 1997

Le court métrage, vu par Patrice Leconte et Pierre Filmon

Interview de Pierre Filmon pour le court métrage « Bleus de Chine »

Jean-Marc Maurel

Jean-Marc Maurel

Le chalet

On retape la coccinelle

Sophie Chauvin au travail

Super résultat

Axel Cosnefroy et Jean-Daniel Bécache