Pierre Filmon a été choisi comme membre du Jury pour le festival Vilmos Zsigmond qui a lieu en ce moment même en Hongrie, pays natal de Vilmos. Il a décidé de vous faire vivre cet évènement de l’intérieur, en tenant et en partageant avec vous son journal de bord que voici…
Journal de bord – Jour 1
J’aime arriver à Budapest puisque cela annonce du cinéma, du cinéma et encore du cinéma. C’est dans ce pays que mon film est sorti au cinéma (six salles à Budapest plus six villes de Province, dont Széged) et a été si bien accueilli – comme en France. Me voilà dans la voiture d’Ivàn, le directeur du « Zsigmond Vilmos Film Festival » #ZSVF, en route pour Széged, à deux-cents kilomètres au Sud-Ouest de la Hongrie, la « sunshine city » du pays, la ville natale de Vilmos Zsigmond. Je rencontre Max, le petit-fils de Vilmos, qui arrive directement de Eugene dans l’Oregon, via San Francisco et Francfort, et parle avec un fort accent américain : « Pour moi, il était seulement mon grand-père, je ne réalisais pas tout ce qu’il représentait dans le cinéma. Il était toujours à notre écoute, à mon frère et à moi, et toujours à nous pousser à réaliser nos rêves ». Nigel est là lui aussi, il arrive de Londres. Nigel, avec lequel je serai membre du Jury, est un Gallois de près de quatre-vingt ans, joyeux et drôle, avec lequel chaque moment est un plaisir, vice-président de la British Society of Cinematographers et ancien président d’IMAGO, la grande association mondiale qui réunit toutes les associations de directeurs de la photographie du monde, soit 49 pays, à l’exception de celle des Etats-Unis, de la Chine et… de la France, puisque les français se sont vexés récemment. « Mais ils reviendront » affirme Nigel, avec son petit sourire confiant de vieux briscard qui en a vu d’autres. Les affiches du festival fleurissent les rues de Széged. « On est prêts ! » me dit Ivàn. Je lui demande, en feuilletant le catalogue – soigné, du festival : « Qu’est-ce qui a été le plus difficile ? ». Ivàn pointe son doigt sur le catalogue : « Ça ! Réunir toutes les images du catalogue auprès des différentes productions, avec la bonne qualité d’image. Un enfer ! ».
Jour 2
Avant la cérémonie d’ouverture du festival – en présence du Maire de la ville, BOTKA Làszlo, un homme jeune, massif et très grand, qui représente en Politique ce que la Hongrie fait de mieux et qui se présentera l’an prochain aux élections pour contrer l’extrême-droite actuellement au pouvoir, un homme à qui j’ai chaleureusement serré la main et à qui nous avons assuré, avec les autres membres de notre Jury, notre soutien sincère pour sa future réussite à la tête du pays ; avant l’ouverture du festival, nous nous sommes tous dirigés vers le 41 de la rue DOBO où Vilmos est né. Sous un soleil printanier, les discours des membres de sa famille sont touchants, celle d’ici et celle des USA, avec accolades entre eux qui se connaissent mal car ils ne parlent pas la même langue mais qui sentent tout de suite leur liens, eux qui, face à face, dévoilent exactement le même profil, le même nez, le même menton ; un dépôt de plusieurs gerbes de fleurs et des interviews de la TV locale et nationale, une minute de silence et le festival peut commencer, à l’ombre bienveillante de nos souvenirs personnels de Vilmos. Ce qui nous rapproche tous immédiatement, c’est un même état d’esprit, celui de Vilmos, une ouverture à l’autre, une volonté d’échange et de partage.
Nous déjeunons entre membres du Jury, cette petite communauté qui pendant quelques jours, va vivre comme sur une île à l’intérieur du cinéma Belvarosi, avec le moins de contacts possibles avec les équipes présentes des films en compétition, avec un devoir de réserve et un esprit vif puisque nous sommes tenus de délivrer en trois jours un palmarès à partir de 22 heures de projections et 33 films dans cinq catégories ! : fiction longue, fiction courte, documentaire, animation et expérimental, venus d’une dizaine de pays différents. Nous visionnons tout de suite cinq films, dont deux longs métrages. Je crains la confusion qui pourrait naître de tant de différentes atmosphères mais c’est tout le contraire qui se passe. Quel plaisir de passer d’un univers à l’autre, d’une durée à l’autre, dans une sélection riche et éclectique mais bien organisée par l’équipe de coordination du festival qui a travaillé de longs mois dans l’ombre.
Jour 3
Les choses sérieuses commencent. Mais jamais avant d’avoir fait un tour, au rez-de-chaussée de l’hôtel où je suis hébergé, dans le jacuzzi, suivi par un moment au sauna où tôt le matin je suis seul. Ce sera un rituel pour les jours à venir. L’après-midi, une discussion publique entre Nigel et moi, appelée un peu pompeusement « open university » me permet de l’écouter raconter la relation étroite qui se noue entre un directeur de la photographie et l’actrice ou l’acteur qu’il doit suivre ou dont il doit accompagner les déplacements. « C’est une relation qui ne passe pas par les mots mais une tension se créé au point que je peux sentir intuitivement dans quelle direction il va se déplacer ou parfois même je souhaite tellement fort, pendant la prise, qu’il aille dans une direction précise… et il y va. Et au moment du CUT, il se retourne et son premier regard est pour moi, une interrogation muette. Il attend non seulement un regard approbateur sur sa performance mais aussi un envoi d’information : la prise est-elle techniquement bonne ? Tout cela en un instant et sans un mot. ». Le nombreux public est très réceptif et semble content de notre échange. Nous enchaînons par quatre séances de projections, intenses, ou nous trouvons plein d’indices de satisfaction. Ce premier festival est bien parti, la sélection recèle des films de grande qualité, des films qui contiennent des moments bouleversants, des films à la photographie vraiment soignée et juste, ce qui compense favorablement certaines imperfections. Tous les membres du Jury – nous sommes cinq, prennent leur rôle très au sérieux, par respect pour le travail que représente la fabrication d’un film, nous griffonnons des notes et affûtons notre sens critique que nous voulons le plus ouvert possible. Dans une autre salle est projeté « Close Encounters with Vilmos Zsigmond », après quoi je dis quelques mots, plus ému que d’habitude puisque dans la salle il y a Max et son épouse Courtney qui découvrent un film dont ils ont pas mal entendu parler. Ils ont les larmes aux yeux et cela m’impressionne.
Jour 4
En me promenant au bord de la Tisza, le fleuve qui borde Széged, en compagnie de Max et Courtney, ils me disent que dans un premier temps, après la projection du film sur son grand-père à lui, ils ne trouvaient pas les mots pour m’en parler (ils m’ont juste serré dans les bras, j’ai senti leur gratitude). Maintenant, ils réalisent le plaisir que cela a été d’entendre à nouveau la voix inimitable (ou presque) de Vilmos. Les dernières semaines de sa vie, il ne pouvait plus parler. Ils l’ont retrouvé tel quel, tellement vivant, le temps de la projection.
C’est déjà le dernier jour de la compétition et nos quatre séances, dont celle contenant des documentaires qui me frappent particulièrement par la force de leurs différentes propositions, viennent nous apporter tout ce qu’il nous faut pour décider du palmarès, vite, très vite, dès que possible, parce que demain a lieu la remise des diplômes. Et il faut les imprimer, ces diplômes ! Nous nous sommes engagés à rendre notre verdict ce soir après la dernière séance. Nous voilà partis dans une salle à l’étage où nous ouvrons deux bouteilles de vin avant d’ouvrir nos débats… Quand nous sortons, épuisés par nos confrontations verbales, nos arguments éclectiques et parfois péremptoires, qu’il faut lisser entre nous pour trouver l’indispensable consensus, le vote juste, le nombre d’or du palmarès et la mesure nécessaire pour donner un sens au palmarès, nous réalisons qu’il est quatre heures du matin ! Nous avons débattu cinq heures sans nous en rendre compte. Les bouteilles sont vides. Et nous sommes heureux de notre palmarès.
J’ai beaucoup appris à travers cette expérience de juré, appris sur le cinéma et les forces et les faiblesses des films que nous aimons, appris sur mes collègues (deux directeurs de la photographie, une monteuse et un critique de cinéma) qui viennent de pays différents et sont capables de dire : « Cette photographie est très allemande » ou « ce film ressemble à un film finlandais très important de 2010, mais en moins bien », et appris sur moi-même et mes goûts et mes couleurs. Mais nous nous trompons tous sur un film d’animation qui nous semble avoir été fait à l’ordinateur. Heureusement, notre monteuse Mari connaît la prof de cinéma qui a suivi le processus de fabrication de ce film de fin d’études de l’école de cinéma de Budapest. Elle lui téléphone… C’est un film fait image par image, traditionnellement. Notre admiration n’en est que plus grande et il prendra au palmarès une place particulière puisque c’est un film qui est aussi politique et c’est un (petit) message que nous aimerions faire passer à l’actuel gouvernement au pouvoir en Hongrie. Le film, WIRELESS, dure 7 minutes et décroche le Prix de la Ville de Széged, remis demain par les autorités locales.
Jour 5
Nous allons nous coucher alors que les oiseaux du petit matin poussent leur premier cri dans la nuit. Quand on se réveille, on ne sait plus bien quelle heure il est… Hier, avant nos premières projections, a eu lieu une discussion publique entre deux membres hongrois de notre Jury, Gabor Szabo HSC et Mari Miklos, autour de leur expérience, unique, d’avoir l’un éclairé, l’autre monté le seul film que Vilmos a réalisé comme réalisateur. Il s’intitule THE LONG SHADOW, date de 1992, a été tourné en Israël avec Liv Ullman et Michael York et j’avais pu le voir au festival de Budapest en 1992. Le souvenir qu’ils gardent d’avoir travaillé pour Vilmos reste très vif pour eux et l’émotion les submerge quand ils nous montrent les images tremblantes que Mari a filmé sur une partie du tournage avec une petite caméra HI8 sans autre volonté que d’essayer sa caméra et garder un souvenir ! Ce sont des images que personne n’a jamais vues. Vilmos respire le calme et la concentration et lors d’une réunion où l’équipe fête l’anniversaire de Michael York, on entend la voix de Vilmos, reconnaissable entre toutes, qui fait un discours dont on ne peut saisir le sens à cause de la prise de son du micro primitif de la caméra qui capte tous les bruits d’ambiance parasite, Vilmos qui fait rire toute l’équipe. On les sent bien tous ensemble. Quand je demande à Mari ce qu’elle garde comme souvenir des longs mois de travail en salle de montage avec Vilmos, elle me dit que Vilmos était « a breeze of fresh air each time he entered the editing room ». Tout était simple quand on était avec lui. Je ne peux que lui donner raison. C’était exactement ça.
En fin de journée, nous remettons nos prix (sept, plus quatre mentions), en décevant certains, en réjouissant d’autres. Quelques réalisateurs ont fait le déplacement jusqu’à Széged. Parmi les films primés, de nombreux récipiendaires ne sont pas là. Mais ils ont tous envoyé une courte vidéo d’eux-mêmes, en mode remerciement, faite dans la précipitation de leur lecture du mail leur annonçant leur prix. Une réalisatrice Croate qui tourne en ce moment en Malaisie. Un directeur de la photographie allemand depuis son bureau de Berlin. Un autre, espagnol, envoie ses amitiés et son admiration pour Vilmos depuis une plage d’Espagne où des surfeurs passent derrière lui, un autre nous salue depuis Los Angeles avant que le dernier, barbu et sobre, nous parle depuis Athènes… En recevant tous ses messages du monde, qui contiennent tous la même gratitude pour l’encouragement à continuer que représente un Prix signé Vilmos Zsigmond, je réalise que c’est cela que nous avions comme ambition, en fait : envoyer des messages d’amitiés de par le monde, d’amitiés de cinéma et de respect pour le travail accompli.
Demain, je peux partir tranquille, la mission est remplie…
Notre Palmarès
- Grand Prix Vilmos Zsigmond de la meilleure photographie
LIMBO (Grèce-France) de Konstantina Kotzamani, 29’
DOP Yorgos Karvelas - Prix du meilleur long métrage
AFTER SPRING COMES FALL (Allemagne) de Daniel Carsenty, 90’
DOP Johannes Waltermann - Prix du meilleur documentaire
PARADISE GOWNS (Finlande-Lithuanie) de Albina Griniute, 60’
DOP Saulius Lukosevicious LAC - Mention pour
MI EZ A CIRKUSZ ? (Hongrie) de Gloria Halasz, 82’
DOP Adam Pataki - Prix du meilleur court métrage
EDEN HOSTEL (Espagne) de Gonzaga Manso, 14’
DOP Juan Santacruz - Mention pour
ANGELTOWN (USA) de Nancy Liu, 21’
DOP Nick Ramsey
- Prix du meilleur film d’animation
ROUND TRIP : MARY (Macédoine) de Ivanov Zharko, 10’
DOP Ivanov Zharko - Mention pour
THE VAST LANDSCAPE – PORCELAINE STORIES (Croatie) de Lea Vidakovic, 11’
DOP Lea Vidakovic - Prix du meilleur film expérimental
A LEVEL (Hongrie) de Flora Chilton, 3’
DOP Flora Chilton - Mention pour
HERO’S JOURNEY (Hongrie) de Ferenc Dimeth Balazs, 4’
DOP Ferenc Dimeth Balazs - Prix de la Ville de Széged
WIRELESS (Hongrie) de Szandra Pataki, 7’
DOP Sandor Nemes
En finissant de copier les noms des primés, je réalise que non seulement dix pays différents sont représentés mais que des onze films que nous avons primé, il y en a huit réalisé par des femmes (deux seulement aussi comme directrices de la photographie). Voilà bien un sujet (primer autant de femmes que d’hommes) dont on n’a absolument pas parlé pendant nos cinq heures de discussions… Je suis d’autant plus fier de ce palmarès que cette belle surprise me cueille seulement maintenant.
Pierre F.
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